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  • Photo du rédacteurParis d'Exil

Évacuation et mise à l’abri : les à-côtés d’un récit officiel


La partie spectacle et communication publique d’une évacuation est toujours bien rodée : on prévient quelques journalistes, les choses se déroulent dans le calme, on assure que ça ne pouvait plus durer et que de vraies prises en charge seront assurées; ensuite paraît un communiqué, que reprennent plusieurs rédactions, détaillant le résultat chiffré de l’opération, remerciant les "associations" venues en renfort sans qui rien n’aurait été possible : Emmaüs, France Terre d’Asile, parfois l’armée du Salut... – largement subventionnées sur fonds publics pour leurs actions, situées du côté de l’institution, donc – ; et à notre connaissance très peu de journalistes ont jusqu’ici choisi de couvrir et l’opération policière en elle-même et les suites concrètes. C’est donc du côté des témoignages de solidaires – jamais remercié.e.s, eux-elles – qu’on découvre les à-côtés de ce récit officiel bien huilé. Certes, ça peut paraître anecdotique ; et ces exemples n’empêchent pas de croire que, tout de même, c’est mieux pour eux, et que, on l’espère, la majorité est bien accompagnée.

Evidemment qu’entre une tente trouée posée sur un terre-plein d’échangeur d’autoroute et un lit de camp dans un gymnase chauffé avec accès aux douches, il n’y a pas photo. Evidemment qu’avoir la possibilité, entre 15 jours et un mois après, d’entamer correctement ses démarches de demande d’asile, c’est mieux.

Mais :

1. les campements dits "illicites", ce "pire", qu’on prend en référence pour dire que la "mise à l’abri" c’est "mieux", sont le fait d’un sous-dimensionnement systématique des dispositifs d’accueil, et d’une politique de tri systématisé entre "bon.ne.s" et "mauvais.es" exilé.e.s. Les campements de rue n’existeraient pas si les pouvoirs publics prenaient réellement leurs responsabilités, au lieu de faire, certes, mais toujours trop tard et trop peu. Les plus de 1 600 personnes qui survivaient autour du Centre étaient soit en attente pour y entrer, soit dans la crainte de le faire[2], soit se retrouvant dans une impasse totale parce que déboutées du droit d’asile.

2. ce sous-dimensionnement systématique contribue à alimenter le fantasme d’un déferlement incontrôlable de "migrants", car on évite toujours soigneusement de souligner que ces 1 600 personnes ne sont pas arrivées toutes en même temps, mais qu’il a fallu des semaines pour qu’elles soient aussi nombreuses ; on évite tout aussi soigneusement de rappeler que pendant ces semaines, aucune subsistance n’est assurée pour ces personnes : les distributions et "mises à l’abri" ponctuelles proposées par les associations subventionnées ne permettent absolument pas d’assurer la survie de chacun, et seules les initiatives solidaires et informelles pansent – un peu – cette plaie béante de la précarité et de la misère en pleine Ville Lumière. Plus largement, comment admettre que, depuis deux ans que se forment et se reforment ces campements à ciel ouvert, les pouvoirs publics n’aient toujours pas trouvé de ressources pour donner accès à une information juridique basique[3], se préoccupant bien davantage de rappeler que ces personnes « ne doivent pas errer en Europe éternellement »[4].

3. sous couvert de préoccupation humanitaire, le mépris et la violence sont des composantes évidentes de ces opérations policières tout comme de la "politique d’accueil" dans son ensemble. Pour réveiller les personnes dans leurs tentes, les policiers bien bottés ont, mardi dernier, sauté à pieds joints bruyamment sur le sol près des tentes. Efficacité, rapidité, bêtise… Parler, expliquer, traduire prend plus de temps évidemment, mais c’est ce que coûte le respect de la dignité humaine. Certaines personnes ainsi réveillées ont ensuite fait entendre qu’elles ne souhaitaient pas monter dans les bus : elles se sont entendu répondre très explicitement que si elles n’y allaient pas, elles seraient raflées. Une soixantaine de personnes – qui, elles, souhaitaient monter dans les bus – a été laissée dans la "Bulle", alors même que les capacités d’hébergement du Centre sont saturées et… qu’on a découvert qu’il restait de nombreuses places dans différents gymnases*.

Le "compte" effectué, donnant lieu aux chiffres officiels publiés ensuite est également problématique, et regarder avec circonspection le chiffre officiel de près de 34 500 personnes "mises à l’abri" depuis l’été 2015 est du simple bon sens : à l’image des comptes Frontex, qui ne font pas de différence entre compter les gens et compter les passages de la frontière, gonflant ainsi les chiffres de "l’afflux massif" sans possibilité de vérification, les pouvoirs publics français ne s’embarrassent pas d’un vrai suivi qui éviterait de compter les gens deux, trois, quatre fois – ou d’avoir à les compter tout court lors des évacuations[5].

Voici quelques exemples parlant du fait qu’une "mise à l’abri" ne veut pas dire grand-chose. Dans certains endroits, les associations qui font la prise en charge temporaire (15 jours) sont prévenues à l’avance – nous étions nous-mêmes au courant de cette opération cinq jours avant, c’est dire si eux avaient le temps de prévoir – et accueillent correctement les personnes, informations, traductions, explications ; même si c’est sommaire, il ne faut souvent pas beaucoup plus pour assurer le minimum : simplement considérer les personnes qui arrivent dans le lieu comme des adultes intelligents et des humains dont il faut respecter la dignité. Dans d’autres cas, l’association est prévenue au dernier moment, c’est le branle-bas de combat, et c’est surtout la bonne volonté des intervenants qui permet un accueil potable. Parfois, le choix des associations est étonnant, comme cette association du 95 spécialisée dans la lutte contre l’exclusion et la récidive d’anciens détenus… Par manque d’informations, beaucoup de personnes craignent de ne pouvoir continuer leurs démarches depuis un Centre à 2h de Paris, et en repartent.

Vous êtes aussi susceptibles d’être débarqué dans un gymnase pas encore aménagé, sans information ni nourriture pendant plusieurs heures, et sans que personne ne soit prévenu à l’avance de votre arrivée. Ce dernier cas de figure est particulièrement dangereux politiquement : prévenir les riverains et les élus, les associer à l’opération, faire de la médiation semble une évidence, et quand cela n’est pas fait, se produisent des épisodes glaçants. En juin 2016, le maire du 15ème arrondissement de Paris était venu faire "barrage de son corps" et jeter lui-même dehors les affaires des personnes qui descendaient du bus pour être "mises à l’abri" dans un gymnase réquisitionné ; après plusieurs heures d’attentes, les "évacué.e.s" ont été sommé.e.s de se rendre dans un autre gymnase, moins d’un kilomètre plus loin, mais de le faire en bus pour ne pas être trop visibles.

Enfin, il y a des cas qui seraient comiques s’ils n’étaient pas si choquants.

À l’occasion de l’évacuation du premier campement de rue de Stalingrad (février 2016), un bus avait traversé la France pour faire descendre tout le monde près de la frontière espagnole, sans aucune solution : ce groupe était revenu à pieds.

À l’évacuation du troisième campement de Stalingrad (avril 2016), un petit groupe s’était fait larguer devant une paroisse à 2h de Paris, où personne ne les attendait. Après quelques heures d’attente perplexe, le groupe était revenu en quête d’un bout de trottoir.

Pour celle d’Eole (juin 2016), un bus d’une trentaine de personnes se dirigeait vers un hôtel, quand une précision inattendue est arrivée : il y avait trois places de moins qu’annoncé ; sans attendre, le bus s’arrête à Gare d’Austerlitz, on fait plouf-plouf, et trois jeunes hommes afghans dépités reviennent à pied jusqu’au campement démantelé, et nous expliquent la situation avec les véhicules de la voirie encore en fond sonore.

Mardi dernier*, un bus a fait le trajet (100m) entre la Porte de la Chapelle et un centre d’hébergement d’urgence bien connu pour ses disfonctionnements, la Boulangerie ; sur place, trois Erythréens de 25-30 ans, après avoir posé leurs affaires, reçoivent un papier et une explication concernant un bus à prendre à 22h20 à la Porte Maillot. Le tout est en français dans le texte et en arabe à l’oral. Ils ne parlent et ne lisent que le tigrinya. Ils reviennent le soir devant le centre, on leur refuse l’entrée, alors que toutes leurs affaires sont dedans. Ils auraient dû, en fait, aller à Porte Maillot pour trouver, à 22h20, un bus de recueil social, afin d’être acheminés… à la Boulangerie. Se retrouvant dehors et sans rien, ils ont finalement été hébergés par une personne solidaire.

Les informations sur les Centres, gymnases, etc. ne sont jamais communiquées par les pouvoirs publics, et nous n’avons par exemple à ce jour pu "localiser" qu’un peu plus de la moitié des "lieux de mises à l’abri" concernés par l’opération de la semaine dernière. Ces cas "anecdotiques" ne sont donc, par ailleurs, que ceux dont nous avons connaissance ; et ils sont déjà trop nombreux pour n’être qu’anecdotiques.

La "politique d’accueil" reste ce mélange d’improvisation, de négligence, de précipitation et d’arrangement de court-terme – voire pas d’arrangements du tout – symptomatique de la volonté délibérée des autorités de ne pas vraiment accueillir. Le strict minimum est fait pour pouvoir communiquer ; pour le respect des droits et des personnes, on attend toujours...

* Merci à Blaise, présent sur le terrain le matin de l’évacuation et jusque tard le soir, pour ses retours et son témoignage.

Avec le soutien du collectif P'tit déj à Flandre

[1] Hors "visites guidées" du Centre-vitrine de l’ex-lycée Jean Quarré, géré par Emmaüs, durant lesquelles on se garde bien d’évoquer les dysfonctionnements.

[2] Entrer dans le "Centre de Premier Accueil" (CPA) rend obligatoire le passage par le CESA, lieu "d’évaluation de situation administrative", les empreintes des pas-encore-demandeurs-d’asile y sont vérifiées : une personne peut ainsi tomber sous le coup du règlement Dublin III avant même d’entamer des démarches de demande d’asile, rendant presque impossible la contestation.

[3] Contrairement à certains autres pays européens, la France a choisi de ne pas faciliter l’accès des primo-arrivant.e.s à leurs droits, par des points d’information repérables dans l’espace public.

[4] Emmanuelle Cosse sur RFI, août 2016 : http://www.rfi.fr/video/20160803-em...


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