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  • Photo du rédacteurParis d'Exil

Évacuation du campement de La Chapelle : ceci n'est pas une opération humanitaire !

Évacuation du campement de La Chapelle – 17 novembre 2022

Le 17 novembre 2022 à l’aube, le campement situé sous le métro aérien de la chapelle est évacué lors d’une opération dite de « mise à la l’abri » organisée par la préfecture de Région Ile-France et la Préfecture de Police. C’est la deuxième fois en moins d’un mois que ce campement est évacué, la 17e évacuation de campement depuis le début de l’année. Toujours les mêmes images depuis 2015, les mêmes politiques, les mêmes pratiques, la même mise en scène : des dizaines de policier·es bouclent le quartier, il ne faudrait pas que celles et ceux qui ont la malchance de dormir quelques mètres plus loin puissent eux aussi être « mis à l’abri »… Les personnes exilées sont parquées comme du bétail, encerclées par les policier·es, se bousculent pour accéder aux bus affrétés par la préfecture pour les emmener dans des centres d’hébergement, gymnases ou hôtels où ils seront préalablement triés selon leur situation administrative et pour partie remis à la rue. Les familles, comme lors de la dernière opération, ne se verront proposer aucune solution. Opération dite de « mise à l’abri » présentée comme un acte humaniste, une preuve d’un devoir accompli par les autorités dont nous connaissons que trop bien la réalité… Ce n’est pas une opération humanitaire !

C’est la conséquence d’une politique raciste de précarisation et d’invibilisation des personnes exilées

Depuis des années, les campements de rue se succèdent, repoussés par la pression policière dans des lieux toujours plus périphériques, cachés, invisibles. Aucun dispositif de premier accueil digne de ce nom n’a été mis en place. Les voies d’accès à l’hébergement sont toujours les mêmes : l’attente dans la rue, la formation de campements qui ne sont évacués que lorsqu’ils deviennent un peu trop visibles, et donc, avec le morcellement des campements sous la pression policière, des délais d’évacuation de plus en plus longs. Nous avons pourtant la preuve qu’il est possible de mettre en place des dispositifs de premier accueil : cela a été fait en quelques jours pour les Ukrainien·nes accueilli·es par centaines et de manière immédiate dans des centres prévus à cet effet, sans aucune nuit passée sous les ponts.

Depuis des années, l’État a préféré s’appliquer à restreindre par tous les moyens possibles, l’accès à l’hébergement pour les personnes exilées : suspension massive des conditions matérielles d’accueil, multiplication des dispositifs d’hébergements catégoriels au détriment des dispositifs d’accueil inconditionnels, mise en place de centres de tri, etc. (notes ↓). Depuis des années, le harcèlement policier n’a cessé de s’intensifier dans le but d’éviter « les points de fixation » selon la terminologie officielle. Dormir sur un bout de carton à La Chapelle est aujourd’hui un acte de défiance et de résistance face à cette politique d’invisibilisation.

Notes

Les conditions matérielles d’accueil sont encadrées par la directive européenne relative aux « normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale » 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013. Elles consistent en une allocation mensuelle (entre 200 et 400€ selon les situations) et le droit à un hébergement. Depuis plusieurs années les associations constatent une augmentation des refus, retraits et suspensions de ces conditions (La Cimade, « Asile en France : premier bilan 2020 », 2 février 2021).

Selon le Code de l'action sociale et des familles, article L345-2-2, un dispositif d'hébergement d’urgence (ou de « droit commun ») gratuit et inconditionnel doit garantir l’accès à l’hébergement de toute personne qui en aurait besoin. Le dispositif national d’accueil est lui réservé aux personnes en demande d’asile qui bénéficient des conditions matérielles d’accueil.

Les opérations dites de « mise à l’abri » dirigent toutes les personnes, sans examen préalable de leur situation vers des centres de tri (CAES). Ceux-ci, créés en 2017 pour remplacer le centre d’accueil de Porte de la Chapelle, servent à « examiner les situations administratives » des personnes (demandeur·se d’asile, réfugié·e, sans-papiers, demandeur·se d’asile sans les conditions matérielles d’accueil…). Seules les personnes en demande d’asile bénéficiant des conditions d’accueil sont ensuite orientées vers des centres plus pérennes du dispositif d’accueil. Les autres sont remises à la rue.

C’est le fruit de la résistance des personnes exilées

Le 27 octobre 2022, le campement de La Chapelle est évacué une première fois. Environ 700 personnes sont envoyées vers des centres de tri, dont une partie qui sera rapidement remise à la rue. 400 personnes sont laissées à la rue, repoussées par la police vers la rue Marx Dormoy. Malgré la pression policière et les demandes de dispersion les exilé·es résistent, refusent de partir, survivent et dorment sur un trottoir étroit encerclé par la police durant 3 jours. À l’issue de ce face à face, les personnes réussissent à se réinstaller sur le site du campement. En l’absence d’un arrêté d’expulsion, il est théoriquement interdit pour les pouvoirs publics de les en empêcher. Ces personnes auront passé 3 jours à résister, sans matériel, exposé·es aux intempéries et confronté·es à une présence policière continue. Les autorités auront donc inutilement dépêché des forces de l’ordre pour dénier à des personnes à la rue et en situation précaire, l’accès à un abri dérisoire.

Le 16 novembre, une tempête ravage le campement, où de nombreuses personnes dorment sans même une tente. Quatre enfants doivent tenir la leur pour ne pas qu’elle s’envole, pendant que des adultes tentent d’y ajouter une bâche pour l’imperméabiliser. Excédés par leur situation, des exilés du campement bloquent la circulation de l’avenue pendant deux heures. Ils demandent des hébergements pour tou·tes et tout de suite. La police arrive, accuse les associations, puisque les exilé·es ne sont jamais considéré·es comme des sujets capables de penser et agir pour et par eux·elles-mêmes… Après plusieurs heures de résistance et une annonce de la police affirmant que l’évacuation aura lieu le lendemain, la circulation est finalement rétablie. Certain·es sont prêt·es à recommencer une action similaire s’il s’avère que la police a menti.

C’est une opération mensongère

La préfecture de Région se targue de son engagement quotidien et permanent pour accompagner et loger (ce qui est sa responsabilité) les personnes les plus précaires. Pourtant, encore une fois, une centaine de personnes n’ont pas pu accéder aux bus. Cécile Guilhem, cheffe de cabinet du préfet de région Île-de-France, présente lors de l’opération, a prétexté que leur mise à l’abri n’était pas légitime puisqu’elles n’habiteraient pas sur le campement (une information invérifiable dans le contexte d’une évacuation avec des allers-retours et des personnes absentes pour cause de rendez-vous et qui reviennent trop tard). Surtout, peu importe qu’elles soient à la rue et aient besoin, comme toutes les autres, d’un hébergement. Les familles ont été mises à l’écart dès le début de l’évacuation, aucune n’a été hébergée. Comme lors de la dernière opération, la Mairie de Paris ne participait pas à la « mise à l’abri ».

Les autorités affichent les chiffres des personnes « mises à l’abri ». Combien parmi les 634 évacuées le 27 octobre ont déjà été remises à la rue ? Combien parmi les 956 évacuées le 17 novembre seront remises à la rue dans les jours à venir ? Nous croisons sur les campements des personnes qui ont été évacuées de nombreuses fois et toujours remises à la rue, par dévoiement du droit qui indique pourtant que toute personne peut bénéficier d’un hébergement d’urgence. Ces statistiques de la préfecture ne représentent rien d’autre que la manière dont elle considère les exilé·es : non pas des sujets de droits, non pas des personnes avec des demandes légitimes mais des chiffres qui leur servent à justifier leur engagement de façade, des numéros de dossier, des lignes dans des tableaux excel, des flux.

C’est une opération policière

Comme à chaque fois, le jour de l'évacuation, un important dispositif policier est déployé. Puisque que l’objectif premier n’est pas d’accueillir mais bien de trier, disperser, harceler, puisque les personnes exilées sont toujours perçues comme des indésirables à qui il faut « rendre la vie impossible », comme des corps dangereux à contrôler, les politiques et dispositifs à leur égard relèvent toujours des services de police. Présente en masse le jour de l’évacuation, présente aussi tous les jours dans les rues de Paris pour traquer les exilé·es qui auraient l’audace de s’installer sur un bout de trottoir. Chaque opération de « mise à l’abri » est suivie d’une véritable chasse à l’homme : quartiers entiers grillagés, parcs interdits aux personnes racisées, violences policières systémiques.

En novembre 2020, l’opinion publique et la classe politique s’émouvaient des violences policières exercées contre des exilé·es à la rue, place de la République. En novembre 2021, Darmanin jouait au scandalisé devant des images de lacérations de tentes à Calais. Nous sommes en novembre 2022 et cette violence policière n’a jamais cessé. Elle a lieu tous les jours, toutes les nuits, loin des caméras.

Le soir même de l’évacuation du 17 novembre 2022 plusieurs dizaines de personnes qui n’ont pas pu monter dans les bus s’installent un peu plus loin sous le métro aérien pour tenter d’y dormir. Des policier·es interviennent, leur ordonnent de partir. Pour aller dormir sur autre bout de trottoir dont elles seront de nouveau chassées dans quelques heures. Lorsqu’une personne solidaire signale à un policier qu’il est en train de marcher sur ce qui sert de “chambre” à quelqu’un, à savoir un bout de carton, ce dernier s’essuie les pieds dessus. Privation de sommeil, humiliation, torture. Le 20 novembre au matin, c’est un campement du 19ème arrondissement qui est attaqué par les forces de l’ordre. Les tentes sont détruites, lacérées, les personnes racontent avoir été expulsées violemment à coup de gaz lacrymogène. Un homme est arrêté. Trois jours plus tard, à nouveau, la police se rend sur ce campement et ordonne aux personnes de partir. Les témoignages des personnes exilées s’accumulent, à certaines périodes c’est toutes les nuits ou à l’aube qu’elles se font réveiller, repousser, confisquer leurs duvets et tentes.

Nous dénonçons fermement politiques et pratiques racistes, absurdes et violentes envers les exilé·es et demandons :

  • La mise en place d’un dispositif de premier accueil ouvert à toutes les personnes exilées.

  • La fermeture des CAES, centre de tri, au profit de dispositif d’accueil, d’orientation et d’hébergement inconditionnels (et donc la fin des remises à la rue des personnes « mises à l’abri » lors des évacuations).

  • La cessation immédiate de toutes les formes de violence policière envers les personnes exilées.

À l’heure où le gouvernement annonce clairement son intention d’intensifier la traque aux étranger·es, nous appelons toute personne solidaire, toute personne qui souhaite se battre contre ce racisme d’État, à venir soutenir les exilé·es dans la rue !

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