« Je m’appelle Amir Awais, j’ai 25 ans. J’ai fui l’Afghanistan en janvier 2016 car j’étais menacé de mort par les talibans. Je suis venu en Europe pour avoir une chance de survivre, j’espérais juste avoir une vie normale et paisible. Mais les États européens ne m’ont pas donné cette chance. Je ne pensais pas devoir faire face à tant de violence et d’inhumanité… Je pensais que je serai protégé de tout ça en France… Mais la France vient de m’expulser en Bulgarie. Et maintenant regardez dans quelles conditions je suis contraint de vivre ! Dans ce camp où même un rat ne voudrait pas dormir… Isolé, avec d’autres migrants, sans aide, sans soutien… Qui voudrait de cette vie-là ? J’ai l’impression d’être piégé dans un calvaire sans fin. C’est comme si on cherchait sans cesse à détruire mes espoirs et ma vie. »
Le 18 avril dernier, la France a expulsé Amir Awais, exilé Afghan, en Bulgarie. La raison de cette expulsion ? Le règlement Dublin III, que la France a décidé d’appliquer strictement depuis quelques mois et qui lui permet d’expulser massivement les exilés, sans même les laisser demander l’asile*. Cette règle européenne prévoit qu’un réfugié potentiel doit demander l’asile dans le premier pays européen où ses empreintes digitales sont enregistrées. Les empreintes d'Amir et de tant d’autres ont été prises sous la contrainte, de force, avec des méthodes qui frisent parfois la torture. Une fois arrivés en France ces exilés n’ont donc pas la possibilité de demander l’asile. Ils sont assignés à résidence ou placés en Centre de Rétention Administrative, avant d’être renvoyés vers l’État désigné responsable de leur demande d’asile… Et peu importe si cet État méprise le droit d’asile et les droits de l’homme.
© photos d'Amir Awais, centre d'hébergement bulgare
« Pourquoi la France m’a renvoyé en Bulgarie ? On est traités comme des animaux là-bas, et la France le sait. Alors pourquoi m’a-t-on expulsé là-bas ? Pourquoi la France a refusé de me donner une chance ? Je sais que je n’ai aucun avenir en Bulgarie, que c’est un véritable enfer pour les réfugiés ! J’ai déjà subi violence et humiliations dans ce pays… »
De nombreuses ONGs ont dénoncé le mépris des droits de l’homme, la violence, la corruption, les conditions de vie et d’incarcération indignes dont sont victimes les migrants en Bulgarie. C’est aussi l’un des pays les plus restrictifs en termes de droit d’asile. En 2016, la Bulgarie a rejeté 97,5% des demandes d’asile d’exilés Afghans**. En faisant le choix d’appliquer le règlement Dublin, la France renvoie donc des hommes, femmes et enfants dans des situations invivables. Elle les condamne à un exil sans fin, jonché de brutalité, comme en témoigne le parcours d'Amir.
Après avoir fui l’Afghanistan, Amir Awais essaye d’entrer en Europe par la frontière bulgare. Mais sa première tentative se solde par une violente arrestation de la police aux frontières :
« Les policiers bulgares traquent les migrants à la frontière avec des chiens. Souvent, ils lâchent les chiens sur nous… Avec un petit groupe de personnes, j’ai été arrêté à la frontière par plusieurs policiers, qui se sont montrés extrêmement violents envers nous ! J’ai été frappé, battu par les policiers, tellement violemment qu’ils m’ont cassés plusieurs côtes. La police bulgare nous a ensuite renvoyé de force en Turquie, par bus. »
Malgré cette expérience traumatisante, Amir reprend le chemin de l’Europe et parvient à traverser la Bulgarie… Mais est arrêté en Serbie et placé en rétention durant 22 jours. La Serbie le renvoie ensuite en Bulgarie, où il est de nouveau enfermé dans un centre de rétention, dans des conditions inhumaines.
« Je n’ai pas de mots pour décrire le centre dans lequel on m’a enfermé en Bulgarie. Vous pouvez voir les conditions de vie dans un centre ouvert… Et bien ce n’est rien en comparaison des centres de rétention bulgares ! La-bas on nous traitait vraiment comme des animaux ! On était nombreux et on était humiliés et maltraités tous les jours. Et les conditions de vie…. On n’avait même pas de quoi se nourrir, on pouvait rester longtemps sans manger. C’était vraiment horrible. »
Les autorités bulgares finissent par le laisser partir,après avoir pris ses empreintes sans son consentement. Mais quelques jours plus tard, Amir Awais est de nouveau arrêté en Croatie et de nouveau privé de liberté. Il reste 3 mois et demi dans un centre de rétention croate. Lorsqu’il arrive enfin en France, en octobre 2016, il tombe sous le coup du règlement Dublin. La France désigne la Bulgarie comme état responsable de sa demande d’asile et est déterminée à l’y renvoyer. Le 7 mars Amir Awais est de nouveau enfermé dans un centre de rétention, celui du Mesnil-Amelot, adossé à l’Aéroport Roissy-Charles de Gaulle.
« J’ai passé près de 6 mois enfermé dans des centres de rétention pour migrants, dans différents pays… 6 mois enfermé ! J’ai été humilié, maltraité, battu ! Particulièrement en Bulgarie où l’on vient de me renvoyer… Je suis épuisé ! Je pensais que la France était un pays différent, respectueux des droits de l’Homme. Mais la France a juste cherché à se débarrasser de moi, sans aucune considération pour ce que j’ai enduré. »
Les tribunaux français ont rejeté tous les recours d'Amir Awais contestant son transfert en Bulgarie, malgré ses certificats médicaux prouvant les maltraitances subies dans ce pays. Le 5 avril, la police a tenté une première fois d’expulser Amir, mais celui-ci a refusé d’embarquer dans l’avion qui devait le ramener à Sofia. 2 jours seulement avant sa libération***, la police a de nouveau tenté de l’expulser, cette fois avec succès, et n’a pas hésité à user de la force.
« La police m’a informé, au centre de rétention , que j’avais un nouveau vol pour Sofia, en Bulgarie. Je leur ai dit que je ne voulais pas retourner là-bas, plus jamais ! Mais ils m’ont répondu "Tu dois venir avec nous à l’aéroport, après tu pourras annuler ton vol si tu le veux." Les policiers sont venus me chercher au Centre de rétention à 5h du matin et m’ont conduit à l’aéroport. Une fois arrivé à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, il y avait beaucoup de policiers. Je suis resté une heure et demi dans une salle d’attente, sous surveillance policière. Quand ils m’ont dit que mon vol était prêt et que je devais y aller, j’ai encore répété que je refusais de retourner en Bulgarie. J’ai montré aux policiers mes certificats médicaux, prouvant que j’avais été battu en Bulgarie, montrant comment ce pays traite les réfugiés. Mais ça leur était égal, et ils m’ont fait monter dans l’avion de force ! Ils m’ont sanglé, il y avait 9 policiers sur moi, impossible de me défendre. Quand ils m’ont fait monter dans l’avion, j’étais ligoté avec 5 sangles, je ne pouvais plus bouger. À chaque fois que j’essayais de crier et de protester, les policiers resserraient très fortement les sangles, me faisant souffrir et m’empêchant de respirer. Une passagère a tenté de protester contre mon expulsion dans l’avion, mais le personnel de bord s’en est pris à elle, l’a forcé à se taire et à se rassoir. L’avion a donc décollé, m’emmenant à Varsovie, où les policiers m’ont fait prendre un autre vol à destination de Sofia. »
Aujourd’hui Amir Awais est donc en Bulgarie, dans un camp pour migrants dont vous pouvez constater l’inhospitalité. Il n’a quasiment aucune chance d’y obtenir le statut de réfugié. Pourtant le personnel de ce camp lui affirme qu’il a 10 jours pour déposer sa demande d’asile, sous peine de quoi il sera expulsé en Afghanistan. S’il fuit et revient en France, il sera de nouveau placé en procédure Dublin et re-renvoyé en Bulgarie. S’il se rend dans un autre pays européen il sera aussi concerné par le règlement Dublin, et ré-expulser en Bulgarie. S’il retourne en Afghanistan, il risque d’être assassiné par les talibans.
* Pour plus d’informations sur le règlement Dublin et ses conséquences : www.stopdublin.fr
** Sur les conditions de vie et le respect des droits des exilés en Bulgarie :
Article Mediapart
Rapport de Science Po Refuge Help sur les renvois Dublin en Bulgarie
*** La durée légale maximale d’un placement en rétention en France est de 45 jours. Amir Awais a été expulsé au bout de 42 jours passé en Centre de Rétention, soit 2 jours avant sa libération.